Jeunesse et cercle familial de Marcelle Griffon
Paris à la belle époque
Familles Grossin et Cerisier
Bien qu’ayant passé sa jeunesse dans les plus beaux quartiers parisiens, entre les Invalides et Auteuil, mon arrière-grand-mère a connu une enfance simple. Ses parents, Marie Elisa Cerisier et Alphonse Louis Grossin, vivaient en effet modestement et même si certains cousins, oncles et tantes avaient un train de vie bourgeois, la cellule familiale dans laquelle elle a grandi n’était en rien comparable au luxe qu’elle connaîtra après son mariage.
Marie et Alphonse naissent à Paris sous le second Empire, le même mois de la même année : en mars 1862. Ils n’appartiennent pas tout à fait au même milieu social, elle étant issue de la petite bourgeoisie de province, vraisemblablement conservatrice, arrivée à Paris à la faveur de l'exode rural de la seconde moitié du XIXe siècle, lui venant d’une classe plus populaire et républicaine, parisienne depuis de nombreuses générations.
Leurs familles respectives sont installées de part et d’autre du Champ de Mars : les Cerisier dans le 15e arrondissement, quartier de Grenelle, et les Grossin dans le 7e, quartier du Gros-Caillou. Marie naît rue Mademoiselle et Alphonse impasse de Grenelle (qui ne se trouve donc pas dans le quartier du même nom).

Marie Cerisier et sa grand soeur Julie en 1868

Marie Cerisier au début des années 1880
Marie et Alphonse se marient le 27 octobre 1883. Alphonse choisit pour témoins son frère aîné, Amédée, et son beau-frère, le mari de sa sœur Eugénie, Victor Barez, tous deux lithographes, comme lui. De son côté, Marie prend pour témoins son beau-frère Eugène Chesnel, le mari de sa sœur Julie, et son oncle maternel, le mari de sa tante Clémentine, Alexandre Lecoeur, alors maire de La Courneuve.
Nous sommes juste avant l’urbanisation de La Courneuve, qui est encore à cette époque essentiellement rurale, comme beaucoup d’autres communes de la banlieue proche. Les Lecoeur habitent d’ailleurs un hameau, le hameau de Crêvecoeur, à la frontière avec Aubervilliers.
Jeunes mariés, Marie et Alphonse s’installent d’abord côté Grenelle, rue du Théâtre, et c’est là que Marie donne naissance, le 12 octobre 1886, à mon arrière-grand-mère, après avoir perdu un premier enfant. En 1887, Marie est de nouveau enceinte et la famille emménage dans un plus grand appartement côté Gros-Caillou, où demeure encore la mère d’Alphonse, Françoise Désirée Rousseau, et où naîtront René et Emile. Ils habitent le 164 rue de Grenelle, tout près des Invalides, où vivaient déjà les grands-parents de Françoise Rousseau près d’un siècle plus tôt. C’est là que mon arrière-grand-mère passe sa petite enfance et c’est peut-être pour cette raison qu’elle restera attachée aux Invalides et que, chaque année à Noël, elle offrira à ses pensionnaires un repas de réveillon.
Pour rendre visite à ses parents à Grenelle, Marie traverse le champ de Mars avec sa fille et son bébé, passant devant le chantier de construction de la tour Eiffel, débuté cette même année 1887. Elle voit au quotidien le monument sortir de terre, jusqu’à son inauguration deux ans plus tard pour l’exposition universelle de 1889, qui marque le début de la Belle Epoque.
J'ignore quel regard posait la famille sur cet étonnant monument qui fut l'objet de fortes réticences lors de sa construction, notamment de la part de nombre de personnalités du monde artistique de l'époque, tels Guy de Maupassant ou Alexandre Dumas. Elle modifia en tout cas complètement le visage du quartier de nos ancêtres.

Dans les années 1890, Alphonse est embauché en qualité de lithographe d’art à l’atelier de céramique d’Auteuil, rue Michel-Ange, et la famille traverse la Seine pour un appartement de l’avenue de Versailles. C’est au sein de cet atelier de création artistique, fondé par la maison Haviland en 1872, qu’avait été mise au point une technique d’impression nouvelle et révolutionnaire dans l’industrie de la porcelaine : la chromolithographie. Quelques années plus tard, Haviland cède l’atelier, qui conserve cependant une activité de chromolithographie sur céramique. Alphonse en devient le sous-directeur.

Alphonse Grossin au début des années 1900.
A droite, une assiette à son chiffre (AG) réalisée par ses employés pour ses 38 ans, datée au dos de l'année 1900.

Alphonse et Marie achètent finalement une petite maison du quartier d’Auteuil toute proche de l’atelier, villa Emile Meyer, où ils finiront leurs jours. C'est aussi dans cette maison du village d'Auteuil que mon arrière-grand-mère et ses frères passent leur adolescence.

Mon arrière-grand-mère et son frère René au début des années 1900

Les mêmes 6 ou 7 années plus tard, vers 1910


Alphonse a six frères et sœurs. Né en 1845, Amédée est l’aîné de la fratrie et la figure tutélaire de la famille Grossin. Il est le premier à accéder à la condition de bourgeois et entraîne certains de ses frères et sœurs dans cette ascension sociale. Lorsque leur père décède en 1878, il devient naturellement le chef de famille. Mon arrière-grand-mère et son frère René le choisiront d’ailleurs à leur tour comme témoin de mariage.
Amédée a presque dix-sept ans de plus qu’Alphonse et c’est lui qui l’a fait entrer dans la profession de lithographe. Lors du mariage de son petit frère en 1883, il est « directeur des travaux artistiques » de la Maison Minot & Cie, importante entreprise parisienne d’imprimerie et de lithographie artistique, présente aux expositions universelles de 1889 et de 1900.
Le 11 mai 1889, alors qu’il expose ses lithographies au palais des arts libéraux, Amédée est décoré des palmes académiques, nommé officier d’académie (aujourd’hui grade de chevalier dans l’ordre des palmes académiques). Il deviendra président de la Maison Minot quelques années plus tard et sera nommé officier de l’instruction publique (aujourd’hui grade d’officier de l’ordre).
Vue de l’exposition universelle de Paris de 1889, où l’on distingue le quartier du Gros-Caillou, entre l’esplanade des Invalides et le Champ de Mars, ainsi qu’un peu du quartier de Grenelle.
A droite de la tour Eiffel, l’immense palais des arts libéraux.


Amédée représente une nouvelle fois la maison Minot & Cie à l’exposition universelle de 1900 et reçoit en son nom propre une médaille d’or dans la catégorie « instruments et procédés généraux des lettres, des sciences et des arts ».
Comme la plupart de ses frères et sœurs et certains de ses cousins, Amédée naît et grandit impasse de Grenelle, dans le 7e arrondissement (alors 10e arrondissement), aux côtés de son grand-père Gabriel Grossin, qui lui a transmis ses convictions républicaines ; j’en parle plus loin. Il a 20 ans lorsque décède ce grand-père à qui il rendra hommage cinq années plus tard, en 1870, en baptisant son fils Gabriel.
Bien que vivant bourgeoisement, Amédée ne renie pas ses origines et devient membre de la société nationale des conférences populaires, peut-être dès sa création en 1890, révélant ainsi une fibre sociale et républicaine fidèle aux idéaux familiaux. La société nationale des conférences populaires, qui s’est donnée pour mission de propager gratuitement l’instruction dans toutes les communes de France, fut créée suite à la crise boulangiste qui fit chanceler la République et fit prendre conscience aux républicains convaincus, et notamment son fondateur, de la nécessité d’un suffrage universel instruit.
Amédée quitte lui aussi le 7e arrondissement après le décès de son père et on le retrouve en 1898, lors du mariage de sa fille, rue de Turenne, sur l’actuelle place Olympe de Gouges, dans un appartement de fonction en face des ateliers de l’entreprise Minot & Cie, qu’il dirige. Il prend sa retraite quelques années plus tard et s'installe à Houilles puis à La Garenne-Colombes ; il décède à l'hôpital Necker, rue de Sèvres, en 1919.

Amedée, Alphonse et Blanche Grossin en 1913
Proche de ce grand frère, Alphonse l’est aussi de sa plus jeune sœur, la facétieuse Blanche, et de son mari, l’oncle Auguste Lemée, tapissier-décorateur dans le 17e arrondissement. Le couple s'installera ensuite à La Garenne-Colombes. Ils ont un fils, l’oncle Edmond, qui restera très proche de mes grands-parents jusqu’à son décès en 1969. Dans la famille Grossin, ce sont d’ailleurs ceux qui entretiennent la plus grande proximité avec Alphonse et Marie et avec mon arrière-grand-mère.
Au début du XXe siècle, Auguste, Blanche et Edmond s’expatrient quelques années en Egypte, où Auguste participe à la décoration d’un palais du Caire.

L’oncle Edmond naît en 1887 tout près du parc Monceau. D'abord inspecteur de police spéciale au sein de la direction de la sûreté générale, domicilié un temps au ministère de l'intérieur place Beauvau, il devient décorateur comme son père, reprenant finalement la direction de la société Lemée & Cie. Après-guerre, il vit avec Robert Laveissière, descendant d’une richissime dynastie de maîtres de forges et lui-même principal actionnaire du groupe Lorraine-Escaut, qui deviendra Usinor. Robert possède un manoir près de Chartres, le manoir de Montmureau, où Edmond passe l’essentiel de son temps et où toute la famille se rend parfois pour un week-end à la campagne.
Marie, quant à elle, a deux sœurs : Julie, l’aînée, et Mathilde, la benjamine, dont elle est très proche. Mathilde s’installe d’ailleurs elle aussi dans le quartier d’Auteuil, avenue de Versailles. Elle est la grand-mère de Lisette, qui était pour nous comme une grand-tante, car elle a été élevée par mon arrière-grand-mère, sa marraine, comme sa propre fille.

Mathilde Cerisier dans les années 1890 avec sa fille Mathilde (marraine Toto)
De son côté, Julie emménage d’abord à Ivry, dans un pavillon du centre-ville, où elle vit avec son époux, leurs quatre enfants et son père. Après le décès de ce dernier, elle emménage dans le 16e, dans le même quartier que ses sœurs.
Julie perd son seul fils, Raoul, en 1915, mort au combat. Réformé en décembre 1913 pour pleurésie chronique de la jambe gauche, le pauvre est finalement déclaré apte fin 1914 et sera tué six mois plus tard dans le Pas-de-Calais, à l’âge de 21 ans. Raoul était imprimeur, comme son oncle Grossin. Blond aux yeux bleus, il mesurait 1m79, ce qui était très grand pour l’époque. Son cousin René, le frère de mon arrière-grand-mère, ne mesurait par exemple que 1m65, taille qui était cependant dans la norme (information contenue dans sa fiche de recrutement, qui précise aussi que René était châtain, les yeux gris-bleu).
Raoul meurt un mois après son cousin Emile Grossin, l’autre frère de mon arrière-grand-mère, décédé dans les mêmes conditions et dans la même région. Les deux sœurs apprendront le décès de leur fils presque au même moment.
Comme leur mère, les sœurs Cerisier sont couturières et cousent à la machine, ce qui leur vaut le qualificatif de mécaniciennes. Femmes mariées, elles exercent cependant cette activité en dilettante, à l’exception de Mathilde, qui reste célibataire et fait de la couture son métier à plein temps. C’est d’ailleurs pour cela que sa fille, marraine Toto, sera en grande partie élevée par Marie et Alphonse et que Mon arrière-grand-mère la considérera comme sa sœur.
Julie, Marie et Mathilde décéderont toutes les trois dans le 16e arrondissement.
Si la famille Grossin est parisienne de longue date – au moins depuis le XVIIIe siècle – installée entre les Invalides et le Champ de Mars depuis le début du XIXe siècle, les Cerisier sont quant à eux originaires du Berry, d’une petite région située entre Bourges et Nevers (voir chapitres suivants).
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