L'aqueduc d'Arcueil, maçons et fontainiers du roi

Familles Beurier et Béligon

 

Sous l’ancien régime, le terroir d’Ile-de-France n’est pas tout à fait le même qu’aujourd’hui car après les céréales, la vigne est alors la seconde grande richesse de la région et beaucoup de nos ancêtres sont vignerons ; ils produisent du Volnay, du Meursault ou encore du Pommard.

Mais la culture n’est pas la seule spécificité de cette région du Sud de Paris ; il y existe aussi un aqueduc qui marque le paysage depuis l’époque gallo-romaine. C’est d’ailleurs de cet aqueduc que la ville d’Arcueil tire son nom. En ruine au début du XVIIe siècle, il est reconstruit sur décision de Marie de Médicis, alors régente du royaume, pour alimenter les fontaines de la rive gauche parisienne et surtout celles des jardins de son palais du Luxembourg en construction. Le chantier est attribué en 1612 à un maître maçon parisien et permet l’emploi de nombreux maçons et fontainiers locaux. Car un tel ouvrage, qui coûte près d’un million de livres pour la seule maçonnerie, nécessite une abondante main d’œuvre pour sa reconstruction et pour son entretien. Il n’est achevé qu’en 1624.

 

 

En 1727, Geneviève Lambert, la fille de Susanne Le duc et Louis Maurice Lambert (cf. chapitre précédent), épouse Guillaume Beurier, vigneron et futur marguillier de la paroisse, comme son père et son beau-père avant lui. Elle a 24 ans, lui n’en a que 17. Bien que vigneron, Guillaume appartient à une vieille famille de maçons et fontainiers employés à l’entretien et peut-être même d’abord à la reconstruction de l’aqueduc.

Son plus ancien ancêtre connu est Germain Beurier, né vers 1575 et décédé après le 23 janvier 1637, jour d’enregistrement de son testament, maître maçon mais aussi propriétaire de vignes. Il est probable qu’on lui sous-traita une patrie de la reconstruction de l'aqueduc. Il est l’époux de Charlotte Picard, née en 1580 et décédée le 4 avril 1631.

Le maçon n’a alors pas le même statut social qu’aujourd’hui ; il est un artisan central de la communauté, qui fait souvent office d’architecte. Celui qui accède à la maîtrise est un entrepreneur respecté et Germain est d’ailleurs assez riche pour acheter des vignes à Cachan en 1608 [1] et pour permettre à son fils Nicolas de reprendre la charge de greffier d’Arcueil.

Nicolas Beurier est donc greffier au bailliage d’Arcueil, en plus d’être maçon de profession. Né en 1608, il est inhumé dans l’église d’Arcueil le 18 octobre 1684, à l’âge de 76 ans. Son épouse Pérette Danais donne naissance à de nombreux enfants, dont 1) Germain (1632 – 1669), 2) Pérette (1635 – 1675) et 3) Guillaume (1642 – 1702), qui suivent :

1) Germain Beurier est maçon, comme son grand-père, son père et ses oncles. Son fils, Hubert Beurrier (1664 – 1710) est marchand carrier, greffier et tabellion d’Arcueil, marguillier de la paroisse. Il est inhumé dans l’église.

2) Pérette Beurier est l’épouse de Guillaume Béligon (1630 – 1702), maître fontainier du roy à Arcueil, procureur fiscal en 1678 et marguillier de la paroisse [2]. Ils vont fonder une véritable dynastie de fontainiers. Quatre de leurs fils sont maîtres plombiers et fontainiers et deux d’entre eux sont « bourgeois de Paris », membres de la communauté des fontainiers :

Séverin Béligon (1658 – 1704), maître plombier fontainier, bourgeois de Paris ;

Jacques Béligon (1661 – 1706), maître plombier fontainier, bourgeois de Paris et fontainier du roy à Versailles ;

Guillaume Béligon, né en 1668, maître fontainier du château de Vaux-le-Vicomte, logé au château en 1707 par son propriétaire de l’époque, le maréchal de Villars ;

Claude Béligon, né en 1671, maître fontainier des aqueducs du roy à Arcueil. Il a pris la succession de son père pour l’entretien de l’aqueduc.

La famille Béligon est contemporaine de la célèbre famille Francine, prestigieuse dynastie de fontainiers à qui l’on doit la restauration de l’aqueduc d’Arcueil, mais aussi et surtout la création du système hydraulique des jardins du château de Versailles. Ils sont intendants des eaux et fontaines et, à ce titre, supervisent les travaux des Béligon. 

Pérette Beurier décède en 1675 en accouchant d’un enfant mort-né et Guillaume Béligon se remarie l’année suivante avec une demoiselle Anne Larcher, au service de la baronne de Beauvais, Catherine Henriette Bellier, dite Cateau la borgnesse, qui fut première femme de chambre d’Anne d’Autriche, mais surtout célèbre pour avoir dépucelé Louis XIV. Son hôtel particulier, dit hôtel de Beauvais, est aujourd’hui la cour d’appel de Paris. Elle est présente en qualité de témoin lors de la signature du contrat de mariage passé entre les époux, devant notaire, en 1676 [3].

Leur fils Séverin est lui aussi fontainier. Il épouse en 1704 Marie Beurier, une petite-fille de Germain. 

3) Guillaume Beurier, notre ancêtre direct, est, à la suite de son beau-frère Béligon et durant de nombreuses années, procureur fiscal de la seigneurie de Cachan et par conséquent défenseur des intérêts de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés en justice. Il connaît bien Innocent Pachot, receveur de la seigneurie au même moment ( cf. chapitre « Les laboureurs du Sud de Paris, entre richesse et tourmente »). La charge de procureur fiscal est plus prestigieuse que celle de greffier qu’occupait son père et cette ascension confirme le statut privilégié de la famille Beurier au sein de la communauté villageoise. Né le 27 février 1642, Guillaume est inhumé dans l’église d’Arcueil le 12 août 1702.

Son épouse, Geneviève Coutelé, née en 1646 et décédée quelques jours après lui en 1702, est inhumée dans l’église, à ses côtés (l’acte de décès le précise). Elle est la fille de Guillaume Coutelé, jardinier du château de Cachan (contemporain d’André Le Nôtre), également inhumé dans l’église d’Arcueil le 18 juillet 1682 et de Magdelaine Gache, née en 1626 et inhumée dans l’église d’Arcueil le 21 octobre 1693.

Le fils de Guillaume Beurier et Geneviève Coutelé, Nicolas Beurier (1685 – 1719), est aussi maçon. Il épouse en 1708 Françoise Denise Moncouteau (1683 – 1736), fille de Claude Moncouteau (1654 – 1725), vigneron, et de Denise Louise Lambert, une petite fille de Benoist Lambert et Marie Pastoureau (voir chapitre précédent). Leur fils Guillaume (1709 – 1776) s’unira à son tour à une demoiselle Lambert : sa cousine Geneviève, née en 1702. Il rompt la tradition paternelle et choisit de cultiver la vigne (cf. chapitre suivant).

Nicolas Beurier et son épouse sont inhumés l’un et l’autre dans l’église Saint-Denys.

Nos ancêtres arcueillais sont, tout au long du XVIIIe siècle, marguilliers de la paroisse, chargés d'administrer ses possessions et d'entretenir son église. L'église Saint-Denys d’Arcueil, qui est aussi leur sépulture, a été bâtie entre le XIIe et le début du XIIIe siècle. Elle est remarquable à double titre : elle est d’abord l’une des toutes premières églises de France construites dans le style gothique et, de ce fait, un joyau de l’art gothique primitif ; mais elle est aussi l’église qui aurait servi de modèle, une sorte de prototype, pour l’édification de Notre-Dame de Paris, débutée peu de temps après, à la fin du XIIe siècle. 

L’usage de l’inhumation des notables dans l’église paroissiale tombe en désuétude dans le courant du XVIIIe siècle pour des raisons d’hygiène. En 1765, le parlement de Paris préconise la limitation de ces inhumations et c’est finalement Louis XVI qui les interdit définitivement par une déclaration royale du 10 mars 1776. Nicolas Beurier et Françoise Denise Moncouteau sont ainsi les derniers de nos ancêtres à être enterrés dans l’église Saint-Denys, leur fils Guillaume étant décédé quelques mois seulement après la décision du roi.

 

Au XIXe siècle, deux membres de la famille feront renaître un peu la tradition en devenant à leur tour fontainiers : Jean-Baptiste Beurier (1780 - 1866) - fils de l'oncle André François Beurier dont je parle dans le chapitre suivant - qui sera aussi garde de l'aqueduc d’Arcueil, et son fils Jean-Baptiste Gabriel Denis (1808 - 1879).

 

 

[1] Archives nationales : minutes et répertoires du notaire Jacques Fardeau, 1581 – 1629 (étude XLIX)

[2] Voir lexique

[3] Archives nationales : Insinuations Y//231 (11 janvier 1676 – 28 août 1676)