Paupérisation et dévotion au XVIIIe siècle
Suzanne Le duc et Louis Maurice Lambert
Magdelaine Pachot et Louis Le duc, au centre du précédent chapitre, s’installent d’abord à Chevilly, le village où Louis a grandi et où il a reçu de sa grand-mère une maison et des terres. C’est là que naît leur fille aînée, notre ancêtre Suzanne Le duc (1680 – 1748).
Le couple emménage ensuite à Arcueil, où vivent encore les parents de Magdelaine, Sainte Bouttemotte et Innocent Pachot, receveur de la seigneurie de Cachan. Le 5 avril 1701, Suzanne y épouse Louis Maurice Lambert (1673 – 1727), vigneron et futur marguillier de la paroisse*
Nous avons vu au chapitre précédent que les parents de Suzanne appartiennent à un milieu instruit et l'on constate que Suzanne signe adroitement son acte de mariage, ce qui signifie qu’elle sait écrire, chose qui n'était pas si courante pour une femme de son époque. Suzanne est d’ailleurs issue d’un milieu social plus élevé que celui de son mari, ce qui, comme nous l’avons déjà vu, était courant sous l’ancien régime.
Louis Maurice Lambert appartient à une vieille famille de vignerons d’Arcueil, dont les plus anciens ancêtres connus sont Benoist Lambert et Marie Pastoureau (née à Arcueil le 18 janvier 1586). Benoist et Marie se marient à Saint-Denys d’Arcueil en 1610 et ont une nombreuse descendance, essentiellement composée de vignerons sans grande fortune, à l’exception d’une branche qui formera une dynastie de greffiers et notaires et acquerra l’ancien château d’Arcueil dans la seconde moitié du XVIIIe siècle (cf. chapitre suivant).
Louis Maurice est donc de condition plus modeste que ses cousins notaires et le couple qu’il forme avec Suzanne ne connaît pas non plus l’opulence des grands fermiers dont elle est pourtant héritière, car cette première moitié de XVIIIe siècle est rude pour les arcueillais : il y a d’abord eu la famine de 1693-1694 puis celle de 1709, conséquence du terrible hiver 1708-1709 qui détruit les vignes et qui est suivi d’exceptionnelles inondations dues au débordement de la Bièvre. Ces inondations désastreuses se répètent en 1711, 1726 et 1740.
Dans l’essai de 1955, déjà cité au chapitre précédent, intitulé : « Une classe rurale puissante au XVIIe siècle : les laboureurs au Sud de Paris », l’historien Marc Venard écrit à propos des laboureurs :
(…) les maîtres bourgeois (les petits seigneurs) ont en général méconnu la solidarité économique, et pas seulement fiscale, qui les liait à cette classe instruite, entreprenante, riche en apparence, mais en réalité très vulnérable, qui devait sortir très affaiblie des années de dépression de la fin du XVIIe siècle.
Mes ancêtres du Hurepoix perdent en effet l’aisance qui était la leur au siècle précédent et leur situation ira en s’aggravant jusqu’à la crise des années 1780 qui les poussera naturellement, eux aussi, à adhérer au vent de révolte (cf. chapitre « Naissance des idées révolutionnaires chez nos ancêtres parisiens »).
En parallèle de l’appauvrissement de ces familles de grands fermiers receveurs de seigneurie, une forte piété caractérise cette première moitié de XVIIIe siècle, paradoxe du siècle des Lumières. Si l’Eglise et la religion rythment depuis longtemps la vie des français, on constate en effet un regain de ferveur chrétienne, encouragé par une fin de règne de Louis XIV particulièrement puritaine. C’est à ce moment qu’apparaissent dans ma généalogie de nombreux marguilliers, pieux notables élus par leurs pairs pour présider le conseil de fabrique. Ils doivent en principe savoir lire, écrire et compter car ils sont chargés de l’administration des biens paroissiaux (notamment la mise en location des terres), ainsi que de la construction et de l’entretien de l’église.
Ainsi, brusquement, mes ancêtres parisiens du Hurepoix ne possèdent plus de charges de finance ou de judicature leur permettant de gérer la seigneurie en lieu et place du seigneur ; ils gèrent désormais les bien paroissiaux et se consacrent donc exclusivement à leurs vignes et à leur église. Ils sont respectés au sein de la communauté villageoise pour leur piété et non plus pour leur pouvoir.
De nombreux enfants naissent de l’union de Suzanne et Louis Maurice, entre 1702 et 1723. L’aînée, Geneviève, notre ancêtre, naît le 8 mars 1702. Son parrain est Louis Lambert, un frère de son père, qui demeure alors à Paris chez les pères de l’Oratoire, congrégation fondée en 1611 dans le but d’élever le niveau spirituel et moral du clergé français. Louis Lambert habite le noviciat de la congrégation, bâtiment destiné à accueillir les novices, qui se trouve à l'emplacement de l'actuel hôpital Saint-Vincent-de-Paul, avenue Denfert-Rochereau, dans ce qu'on appelle alors le faubourg Saint-Jacques.
Le 24 avril 1721 naît un petit frère, André Cosme Lambert, à qui l’on donne pour parrain un certain Cosme Prin, marchand tapissier aux Halles de Paris. J’ai retrouvé ce parrain quelques années plus tard dans des circonstances caractéristiques du monde d’ancien régime et de ses croyances. Bien que Cosme ne fasse pas partie de la famille à proprement parler, je relate ici l’épisode en quelques lignes, car il illustre très bien la dimension religieuse de nos ancêtres :
Il existe alors à Paris un lieu de pèlerinage un peu particulier au cimetière de Saint-Médard, aujourd’hui dans le 5e arrondissement, autour du tombeau de François de Pâris. Ce diacre janséniste mort en 1727 était réputé pour sa vie exemplaire, considéré par beaucoup comme un saint. Rapidement, il se dit que des miracles s’accomplissent sur sa tombe et des pèlerins affluent alors, dont certains hauts personnages du royaume, se livrant à des scènes d’extase collective. La ferveur est telle et le nombre de supposés miracles si important que quatre volumes de témoignages sont publiés.
C’est ainsi que l’on retrouve, sur sept pages, le témoignage de la femme de Cosme Prin, Geneviève Feuchère, qui relate avoir été guérie de ses très fortes et très anciennes migraines. Le récit de termine par une sorte de caution du mari, ainsi rédigée :
Je soussigné Cosme Prin, marchand tapissier à Paris, demeurant sous les grands piliers des Halles à l’enseigne du paon, paroisse Saint-Eustache, déclare & certifie la relation ci-dessus que ma femme a faite de la maladie & de la guérison par l’intercession de M. de Pâris, & signée d’elle cejourd’hui, très véritable depuis le commencement jusqu’à la fin. En foi de quoi j’ai signé en ma demeure susdite, ce premier Mai 1734.
Louis Maurice Lambert décède le 17 juillet 1727. Il est alors marguillier en charge et il est inhumé dans l’église Saint-Denys d’Arcueil, comme nombre de nos ancêtres (cf. chapitre suivant).
Nos ancêtres parisiens ne conserveront pas la même ferveur, mais malgré leur engagement révolutionnaire, que nous découvrirons plus loin, leur foi ne disparaîtra vraisemblablement pas, car ils continueront de baptiser leurs enfants tout au long du XIXe siècle.
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