Marchands drapiers et marchands tanneurs dans le Berry depuis la fin du Moyen-Age
Familles Piot, Bonnin, Callande, Le bas et Jaupitre
Félix Piot (1804 - 1876) est originaire de Cosne-sur-Loire, dans la Nièvre. Ses ancêtres sont presque exclusivement des bourgeois faisant du commerce dans la région. Les archives ne m'ont pas permis de remonter sa lignée agnatique, du moins pas au-delà de la seconde moitié du XVIIe siècle, mais il est parfaitement légitime de retracer une tradition familiale qui ne soit pas exclusivement masculine, les femmes transmettant elles aussi un héritage, à la fois patrimonial et culturel. C'est ce que je fais tout au long de ce site internet et c'est ce qui me permet ici de relever une certaine constance du commerce du cuir et du drap de laine chez les ancêtres de Félix Piot depuis le XVe siècle au moins.
Jacques et Thibault Piot, le père et le grand-père de Félix, sont marchands tanneurs ayant pignon sur rue, établis en plein centre de Cosne, sur l’ancienne place d’armes, aujourd’hui boulevard de la République. La famille Piot est connue à Cosne depuis longtemps : l'arrière-grand-père de Thibault, François Piot, « honorable homme », est marchand gantier et surtout procureur délégué de Cosne-sur-Loire dans la seconde moitié du XVIIe siècle, représentant les marchands de la ville aux assemblées générales de la très importante « communauté des marchands fréquentant la rivière de Loire et fleuves descendant en icelle » [1]. Cette communauté puissante détient le monopole de la navigation sur la Loire, à une époque où le commerce se fait essentiellement par voie fluviale.
Thibault Piot (1746 - 1832) épouse le 4 février 1772 une femme de onze ans son aînée, Marguerite Bonnin (1735 - 1815), originaire d'Ivoy-le-Pré.
La petite ville d'Ivoy-le-Pré marquait la frontière Nord de la principauté de Boisbelle, domaine autonome enclavé dans le Berry et curiosité historique au sein de laquelle le prince propriétaire exerçait les pouvoirs d’un souverain, faisant les lois, rendant justice et battant monnaie. Elle fut la propriété du grand Sully, qui y fit construire sa capitale, Henrichemont, en l’honneur d’Henri IV.
Il se trouve à Henrichemont un lieu-dit Les Pasdeloups, ou demeurait nos ancêtres Pasdeloup, la famille maternelle de Marguerite.



Marguerite Bonnin et Thibault Piot se marient à Crézancy-en-Sancerre parce qu'Etienne Bonnin, un cousin germain de Marguerite, en est le curé, mais c'est bien à Ivoy-le-Pré que sont les racines familiales.
Marguerite et son cousin Etienne sont issus de familles de marchands : les Bonnin et les Callande. Leurs pères respectifs, qui sont frères, et leur grand-père Claude Bonnin sont drapiers, ils font commerce de draps de laine dans la région, ainsi que leur grand-oncle maternel Gabriel Callande, par ailleurs procureur fiscal d'Ivoy [2] Leur arrière-grand-père Marc Callande (1641 - 1708) était déjà maître drapier et il y a fort à parier qu'il n'était pas le premier des Callande à exercer cette profession.
Marc Callande épouse vers 1665 Sylvine Denizeau, soeur de messire François Denizeau, prêtre desservant le prieuré d'Ivoy-le-pré, dépendant de l'abbaye bénédictine Saint-Sulpice de Bourges. Sylvine et François Denizeau sont les enfants d'Anthoinette Le bas (1610 - 1674), demoiselle issue de la très respectable famille Le bas.
Anthoinette Le bas est la fille de Jehan ou Jean Le bas, marchand tanneur mentionné en ces termes dans le nobiliaire du Berry :
"Jean Le bas, sergent royal en Berry exploitant par tout le royaume de France et demeurant en la ville d'Ivoy-le-Pré, qualifié honnête personne dans un acte en date du 15 septembre 1597 par lequel il fait vente à honnêtes personnes Jehan Socyet (son beau-frère) et Aignan Le bas (son frère), marchands tanneurs à Ivoy-le-Pré, moyennant un prix de 266 écus 2/3 sol, revenant à 800 livres tournois, de la tierce partie du lieu et métairie de Lescheneau, assis en la paroisse d'Ennordres (...) biens qu'il possédait indivisément avec les acquéreurs (Jehan Socyet à cause de Marguerite Le bas, son épouse) pour les avoirs recueillis dans la succession de défunte honnête femme Catherine Jaupitre, leur mère.
Il mourut avant le mois d'août 1640, ayant eu au moins huit enfants de son union avec Estiennette Dabert, fille de François Dabert : Marie Le bas, Catherine Le bas, Jean Le bas, François Le bas, Anthoinette Le bas (notre ancêtre), Estienne Le bas, Guillaume Le bas." [3]
Catherine Le bas, soeur d'Anthoinette, est l'épouse de François Pirepou, un marchand qui décède le 4 juin 1689 à l'âge extraordinaire de 97 ans. Trois ans auparavant, le 15 février 1686, il est témoin au mariage de sa petite-nièce Magdelaine Callande avec Claude Bonnin et signe d'une main tremblante, de la main d'un homme de son âge.
La grand-mère paternelle de Catherine et Anthoinette Le bas, La mère de Jehan Le bas, s'appelle donc Catherine Jaupitre (cf. extrait du nobiliaire du Berry supra). Elle est vraisemblablement décédée en 1597 ou peu de temps avant. Elle et son époux Aignan Le bas font l'objet d'un autre article du nobiliaire du Berry, dans lequel il est écrit :
"Aignan Le bas, premier du nom, marchand à Ivoy-le-Pré, serait, selon d'Hozier, fils de Jean Le bas, natif d'Ivoy, qui faisait commerce de marchandises. Il épousa vers l'an 1567 Catherine Jaupitre, fille d'Etienne Jaupitre, sergent royal à Aubigny et nièce de Jeanne Loré, dame de Lescheneau. Veuve dès le 23 janvier 1588, elle mourut avant le 15 septembre 1597, lui ayant donné au moins trois enfants : Aignan Le bas, Jean Le bas (notre ancêtre) et Marguerite Le bas (épouse de Jehan Socyet ou Souciet)"
On apprend ici que Catherine a donc hérité Lescheneau (L'Echeneau, à Ennordres), une seigneurie relevant du bailliage de Concressault, de sa tante par alliance, Jeanne Loré, épouse de son oncle Mathurin Jaupitre, comme nous allons le voir.
La famille Jaupitre est originaire de Troyes, installée dans le Berry dans la seconde moitié du XVe siècle. L'ancêtre commun est Etienne Jaupitre, né à Troyes au début du siècle, qui fera commerce de draps à Bourges. Son fils Jehan, également marchand drapier, est en 1462 lieutenant général du bailli de Berry au bailliage royal de Concressault, c'est-à-dire juge du bailliage. Il s'agit d'une juridiction royale secondaire située à quelques kilomètres au Nord de la ville de Bourges où se trouve le bailliage principal.
Deux fils de Jehan Jaupitre fondent deux branches distinctes, l'une implantée à Bourges, la plus prestigieuse, et l'autre, dont nous sommes issus, solidement implantée dans le bailliage royal de Concressault, où elle continue d'occuper des fonctions judiciaires jusqu'à Jehan Le bas au début du XVIIe siècle (cf. extrait du nobiliaire du Berry supra).
- Le fils de Jehan Jaupitre à l'origine de la première de ces deux branches est Etienne, riche marchand drapier qui sera échevin de la ville de Bourges et à qui l'on doit la construction de la maison dite de Pelvoysin - du nom de son architecte - ou maison Etienne Jaupitre, au début du XVIe siècle. Il épouse vers 1505/1506 Françoise Godard, mère d'un premier lit de la poétesse Jeanne de La Font, figure de la vie culturelle de son temps. Françoise Gordard est la petite-fille de Pierre Godard, richissime marchand de soie et changeur de monnaie qui fut l'associé de Jacques Coeur dans la première compagnie du Levant.

Maison d'Etienne Jaupitre, dite de Pelvoysin
- L'autre branche est fondée par un frère d'Etienne : Jehan Jaupitre qui, à son tour, aura au moins deux fils : Etienne jaupitre, notre ancêtre direct, sergent royal d'Aubigny (village dépendant comme Ivoy-le-Pré du bailliage royal de Concressault) et Mathurin Jaupitre, gendre d'un certain Nicolas Loré qui est seigneur de Lescheneau et lieutenant général du bailli de Berry au bailliage de Concressault.
Au décès de Nicolas Loré, la seigneurie de Lescheneau revient à sa fille Jeanne, l'épouse de Mathurin. Jeanne décède à son tour et c'est leur fils Jacques Jaupitre qui hérite du domaine, mais celui-ci meure jeune, sans alliance et sans descendance. Par sentence du 14 juin 1555, la seigneurie revient alors à son père Mathurin Jaupitre encore en vie [4] et c'est finalement la nièce de ce dernier, notre ancêtre Catherine Jaupitre, qui en hérite, devenant ainsi presque par hasard dame de Lescheneau.
Comme nous l'avons vu plus haut dans l'extrait du nobiliaire du Berry, Catherine lègue Lescheneau à ses enfants, mais notre ancêtre Jehan Le bas revend ses parts en 1597 et c'est finalement Aignan qui rachète l'ensemble de la seigneurie, car l'on sait que son fils François Le bas (1613 - 1666) est seigneur de Lescheneau. Ce dernier est aussi trésorier des Ponts et Chaussées en Champagne, maître d'hôtel du roi et conseiller d'Etat.
L'ascension sociale de cette seconde branche Le bas trouve son apogée avec la 3e génération, en la personne du fils du précédent, Claude Le bas de Montargis (1659 - 1731), marquis du Bouchet-Valgrand, trésorier général de l'extraordinaire des guerres de Louis XIV, qui épouse le 17 février 1693 Catherine Henriette Hardouin-Mansart, fille du célèbre architecte de Louis XIV. Claude Le bas fera construire l'hôtel Le bas de Montargis, au n°7 de la place Vendôme, et le château de Vanves, aujourd'hui lycée Michelet.

Claude Le bas de Montargis
La plupart des généalogies que l'on trouve sur internet considèrent que notre ancêtre Catherine Jaupitre est issue de la première des deux branches Jaupitre et serait l'arrière-petite fille d'Etienne Jaupitre et Françoise Godard, mais cela me semble assez peu vraisemblable eu égard à la date de mariage du couple, qui implique que le grand-père de Catherine serait né moins de quarante années avant elle, écart d'âge peu concevable pour des hommes de ce milieu social et à cette époque. Françoise Godard se retrouve en effet veuve en 1505 et ne peut donc épouser Etienne Jaupitre avant cette date. Leur fils cadet Pierre, qui serait le grand-père de Catherine selon ces généalogies, ne peut par conséquent naître avant 1507/1508, au plus tôt (c'est d'ailleurs une date plus tardive qui est généralement retenue). Or, Catherine Jaupitre naît aux alentours de 1545...
Il paraît de toute façon plus raisonnable de relier Catherine à la branche formée d'auxiliaires de justice du bailliage royal de Concressault, où exerçaient avec certitude son père Etienne Jaupitre et son fils Jehan Le bas et où se trouvait la seigneurie dont elle était l'héritière. Elle est donc selon moi très vraisemblablement la petite nièce d'Etienne Jaupitre et Françoise Godard et non leur arrière-petite-fille (cf. arbre généalogique supra).
[1] Bibliothèque nationale de France / Mémoires de la société archéologique de l’orléanais, 1864
[2] Voir lexique
[3] Nobiliaire du Berry, tome I, fasc 1
[4] Informations recueillies auprès de Guy Fekete, Geneanet
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