Une dynastie de chirurgiens de Cosne-sur-Loire

aux XVIIe et XVIIIe siècle

Famille Perreau / Perrault

 

 

Par sa mère, Anne Adélaïde Perreau, Félix Piot est le petit-fils d’un maître perruquier : Hilaire Perreau. Né en 1743 à Cosne-sur-Loire, ce dernier est issu d’une famille de chirurgiens.

En devenant perruquier, Hilaire s'inscrit bel et bien dans la tradition familiale. Cela paraît très surprenant aujourd’hui, mais au XVIIIe siècle, les professions de chirurgien et de perruquier sont en effet étroitement liées par leur histoire : jusqu’à la fin du XVIIe siècle, le terme de chirurgien peut avoir sensiblement la même signification qu’aujourd’hui, mais il désigne avant tout un membre de la corporation des barbiers-chirurgiens, professionnels habilités à utiliser des outils tranchants. Ceux qui n’effectuent pas des actes de chirurgie lourde ont alors pour fonction de saigner, de soigner les petits maux quotidiens et de raser. A la fin du XVIIe siècle, les chirurgiens-jurés, ou chirurgiens de robe longue, qui opèrent, obtiennent du roi d’être distingués des simples barbiers-chirurgiens, ou chirurgiens de robe courte, ces derniers devenant plus barbiers que chirurgiens et évoluant ainsi petit à petit vers la profession de perruquier.

De chirurgien à barbier, puis de barbier à perruquier, les frontières étaient donc mouvantes.

 

Chirurgien-juré sous l'ancien régime

Perruquiers au XVIIIe siècle

 

Guillaume Perreau (1618 – 1681) « honorable homme » et maître chirurgien, notre plus lointain ancêtre de Cosne-sur-Loire exerçant cette profession, a au moins deux enfants qui l’exercent également : François Perreau, notre ancêtre, et Jacques Perreau. Deux fils de ce dernier, également prénommés François et Jacques, émigrent en Nouvelle France (aujourd’hui Québec) au début du XVIIIe siècle, où ils ont une nombreuse descendance portant le nom de Perrault.

Jacques Perrault, fidèle à la tradition familiale, s’installe comme chirurgien à Lachenaie, au Nord de Montréal. Quant à François, il fait fortune dans le commerce des étoffes. Selon le dictionnaire biographique du Canada, volume III, il possédait « outre son magasin de Québec, des comptoirs à Trois-Rivières, aux forges du Saint-Maurice et à la paroisse Saint-Sulpice, près de Montréal. On y trouvait une grande variété d’étoffes allant de la plus fine toile à la plus belle dentelle, en passant par la serge, le coton, le « mazamet », la basane et même du loup marin tanné. Il y vendait également des mouchoirs, des draps, des couvertures, des gants, des bas, des colliers, des couteaux et des cuillères d’étain, des aiguilles, du fil, des clous et des hameçons. Il ravitaillait ses magasins avec une goélette, la Marie Angélique, qu’il possédait avec son fils Jacques.

(…) Parmi ses descendants, outre son fils Jacques, certains jouèrent un rôle important dans la société de leur temps, entre autres, son fils Joseph-François (1719 – 1774), qui fut grand vicaire de l’évêque de Québec à Trois-Rivières et prévôt du chapitre (en 1763, il se vit confier l’évêché de Québec durant l’absence de l’évêque [1]), et (un autre) Joseph-François (1753 – 1844), l’un de ses petits-fils, qui deviendra l’un des plus éminents promoteurs de l’instruction primaire au Canada », et dont la biographie se retrouve également dans le dictionnaire biographique du Canada.

Jacques Perrault, le fils de François avec lequel il est associé, épouse en 1749 Charlotte Boucher, fille de Pierre Boucher, important personnage dont la statue trône encore aujourd’hui sur la façade de l’hôtel du parlement du Québec. Pierre Boucher était gouverneur de Trois-Rivières et fondateur de Boucherville, petite ville aujourd’hui dans la banlieue de Montréal.

 

François Perreau, notre ancêtre de Cosne, l’oncle des québécois, est « honorable homme » et maître chirurgien juré. Il est le père de Marc Antoine Perreau (xxxx – xxxx), lui aussi chirurgien juré, et de Claude (1743 – xxxx), notre ancêtre, maître tailleur d’habits.

Ce dernier épouse en 1732 à Boulleret, dans le Cher, Elisabeth Durand, fille de Jean Durand, maître chirurgien juré, et sœur de Marie Angélique Durand, épouse de Nicolas Egrot, lui aussi chirurgien. Claude Perreau et Elisabeth Durand sont les parents d’Hilaire Perreau, notre ancêtre perruquier.

On retrouve les oncles Marc Antoine Perreau et Nicolas Egrot dix ans auparavant, sollicités en leur qualité de chirurgien pour examiner un cadavre retrouvé non loin de Cosne. Je retranscris ici un extrait de l’inventaire sommaire des archives départementales du Loiret, qui nous plonge dans un fait divers d’ancien régime :

« Le mardi 20 octobre 1722, à sept heures et demie du matin, J-B Luys, ancien expédiant pour le bailli de la terre, justice et seigneurie de Buranlur, au comté de Sancerre (seigneurie de Buranlure, située à Boulleret), reçu avis du procureur fiscal que la veille, une lettre de Rémond de Meigniers, bourgeois de Cosne-sur-Loire, le prévenait que le curé de Boulleré avait avisé Marie Rousseau, femme de Briand de Chambileau, fermier de la seigneurie, qu’on avait trouvé un homme dépendu dans la garenne de la métairie d’En-bas. (…)

L’homme paraissait avoir vingt-sept à vingt-huit ans, cheveux et barbe châtains, portant perruque, de la hauteur de cinq pieds, visage rond, nez aquilin, yeux et bouche fermés, entièrement nu. Nulle trace de sang à côté. On trouva un petit morceau de linge provenant d’une petite cravate à collet. Comme il n’y avait pas de chirurgien sur l’étendue de la justice, le juge nomma d’office Nicolas Egrot et Marc Antoine Perreau, chirurgiens de Cosne-sur-Loire, ville éloignée seulement d’une demie-lieue. Puis il scella du cachet de la justice le cadavre du pendu, tant au front qu’aux pieds. Les deux chirurgiens, promptement mandés, firent immédiatement leur rapport. Ils conclurent à une mort violente, après avoir constaté des contusions aux jambes, à la cuisse, au testicule droit, ce dernier ayant été serré et percé. Après quoi, le 20, le cadavre fut dépendu et exposé au pilori (...) »

S’ensuit une longue série de témoignages desquels il ressort que la victime est François Laurent, marchand de vin à Paris, fils de Silvain Laurent, bailli de Buranlure et procureur au comté de Sancerre [2], et qu’il aurait été tué au château de Mme de Pontderive, transporté et pendu dans la campagne par ses bourreaux. Martin Chopineau, domestique de Mme de Pontedrive, affirme que ce sont trois galants qui sont venus pour Mlle de Pontderive et que le mieux aimé d’elle a été tué par les deux autres, porté dans la garenne et dépouillé pour qu’on ne le reconnaisse pas à ses habits.     

Parmi ces témoins, on trouve aussi Jean Durand, notre ancêtre direct, le père d’Elisabeth et Marie Angélique, chirurgien à Boulleret, alors âgé de 48 ans, qui affirme « avoir entendu dire que François Touchard avait vu porter le cadavre, la nuit du samedi 17, par trois personnes ; il ajoute que Nicolas de Baroy, appelé le père Colas, avait vu passer la victime par le bourg de Bonnay, suivant le chemin de Sancerre à Cosne, en-deçà de la Loire ».

L’enquête conclut que François Laurent « aurait été assassiné pour une affaire de famille, où la religion et l’amour jouèrent leur rôle. Le père Laurent, lui-même, chercha, de concert avec Mme de Pontderive, à étouffer l’affaire ». Il s’agit probablement là des conséquences d’une relation inavouable dans une société d’ancien régime corsetée par la religion et enfermée dans des carcans sociaux.

Ce récit nous laisse aussi apercevoir une véritable organisation judiciaire dans les campagnes d’ancien régime, alors même que les quelques fonctions citées (bailli, procureur, procureur fiscal, ou encore fermier de seigneurie), sont la plupart du temps exercées à titre accessoire par nos ancêtres laboureurs, mais supposent néanmoins un sérieux degré d’instruction, mettant à mal l’image d’Epinal du paysan analphabète d’autrefois, comme je l'explique dans le chapitre qui suit.  

 

[1] Cf. Ouvrage de Jean Panneton sur le diocèse de Trois-Rivières.

[2] Voir lexique.