Les ancêtres du Berry
Une notabilité préservée
Familles Boyn et Desnoix
Nous l’avons vu au chapitre précédent, la cellule familiale de Julie Desnoix vit de la métallurgie : son époux Félix est marchand ferblantier, neveu d’un directeur de forges ; son grand-père et sa tante maternelle se sont unis à des familles elles aussi employées à la direction des forges ; son grand-père paternel Jean Desnoix était, du temps des corporations d'ancien régime, maître armurier et serrurier ; son père, Vincent Desnoix, est également armurier et serrurier et ses deux frères, Charles et Eugène, sont respectivement……armurier et serrurier.
Julie a aussi une tante dont elle est proche, la sœur de Vincent, Catherine Desnoix, qui a épousé François Mathiot, riche meunier de Bourges inscrit sur les listes électorales en 1825, à une époque où seuls les plus gros contribuables détiennent le droit de vote. Leur fille née en 1815 se prénomme Marie Eliza, comme mon arrière-arrière-grand-mère Cerisier dont elle est la marraine. Marie Eliza se marie en 1832, à l’âge de 16 ans, avec un marchand de Bourges, lui aussi dans la petite métallurgie. Mariage arrangé, à l’évidence.
Mais la cellule familiale élargie ne comprend pas que des métallurgistes.
Vincent et sa sœur Catherine Desnoix sont issus d’une famille qui semble ne pas avoir souffert de la crise de la fin du XVIIIe siècle et de la période révolutionnaire qui s’est ensuivie, contrairement à nos ancêtres franciliens, comme je le décris dans un autre chapitre. Leur grand-père paternel, Michel Desnoix, était un riche fermier de Cérilly, dans l’Allier, et leur grand-père maternel, Jacques Moreau, était maître chirurgien et officier de justice seigneuriale à Apremont/Allier. Leur grand-oncle Jean-Baptiste Baron, tuteur et curateur de leur père Jean Desnoix, était avocat en parlement et recteur du collège de Cérilly (les collèges d’ancien régime sont les lycées d’aujourd’hui et le poste de recteur correspond approximativement à celui de proviseur).
Mais c’est de son autre grand-oncle que Vincent est proche, le frère de sa grand-mère Marie Boyn, Jean-Baptiste Boyn, docteur en chirurgie à Germigny-l’Exempt. C’est d’ailleurs par son intermédiaire qu’il rencontre et qu’il épouse Anne Nouvel, fille d’un marchand de Germigny. Jean-Baptiste Boyn et ses enfants sont présents et témoins à tous les mariages de la famille Desnoix.
Les Boyn sont originaires de la seigneurie d’Apremont/Allier, dans le Berry, possession du comte de Béthune jusqu’à la révolution. Leur ancêtre commun est Bernard Boyn, (1708 – 1781) « honorable homme », marchand de vin et agent de la Ferme générale (l’administration fiscale chargée du prélèvement des impôts royaux). Il débute sa carrière en qualité de commis de marine à la régie des marchandises fluviales, chargé de percevoir les impôts liés au commerce fluvial, alors prospère. Il épouse le 17 août 1735 à Saint-Loup, dame Anne Ferrier (1714 – 1783), qui donne notamment naissance à Marie (1), notre ancêtre directe, née le 22 août 1736, Jacques-Bernard (2), né en 1740 et Jean-Baptiste (3), le grand-oncle chirurgien, né en 1743 :
1) Marie épouse à Apremont, le 21 janvier 1755, Jacques Moreau (1726 – 1763). Petit-fils d’un maître apothicaire, Jacques est lui aussi maître chirurgien et futur procureur fiscal d’Apremont [1]. Comme nous le verrons dans un chapitre ultérieur, il est d'usage sous l'ancien régime, lorsqu'on en a les moyens financiers, d'acheter une charge de finance ou de judicature annexe à sa profession, dans le but de s'élever socialement et de compléter ses revenus.
Le père de Jacques, Pierre Moreau, est un agent de la Ferme générale, employé à la régie des Aides de Bourges. Il entretient probablement des relations professionnelles avec Bernard Boyn.
Jacques décède le 22 avril 1763 à l’âge de 36 ans et est inhumé le lendemain dans le chœur de l’église d’Apremont, honneur en principe réservé au seigneur, mais accessible contre certaines largesses aux deniers du culte aux notables et en particulier à ceux qui représentent le seigneur au sein de la communauté villageoise, ce qui est le cas du procureur fiscal. Par ailleurs, Apremont n’est pas la principale possession des comtes de Béthune, qui appartiennent à l’une des plus anciennes et des plus illustres maisons nobles de France, et ce n’est pas dans la petite église d’Apremont que se trouve leur sépulture. La place était donc vacante.
La fille de Marie et Jacques, dame Marie Moreau, née le 7 avril 1758 à Apremont, épouse le 6 juillet 1784 Jean Desnoix, maître armurier de Sancoins. Ils sont les grands-parents de Julie Desnoix.
2) Jacques Bernard est greffier au bailliage d’Apremont [1]. Le 16 octobre 1774, il devient père d’une fille que l’on prénomme Marie Françoise (la mère décèdera le 1er novembre suivant). Le lendemain, l’enfant est baptisée dans l’église d’Apremont et on lui donne pour parrain son grand-père, Bernard Boyn. Il est écrit dans l’acte de baptême – je n’ai rencontré cette mention nulle part ailleurs – que le parrain n’est pas présent pour porter sa filleule sur les fonts baptismaux et qu’il s’est fait représenter par Pierre Avignon, son domestique. La marraine est, elle aussi, représentée par l’une des domestiques de Bernard Boyn. C’est anecdotique, mais néanmoins suffisamment rare pour être mentionné.

3) Jean-Baptiste est docteur en chirurgie et officier de santé (comme Charles Bovary dans le roman de Flaubert) exerçant à Germigny. Il sera témoin au mariage de Vincent en 1809 et à celui de sa soeur Catherine Desnoix en 1815. Il a trois fils : Jean-Pierre et Jean-Baptiste, qui sont médecins, et Louis (1801 – 1848), issu d’un second mariage. Les deux frères médecins recevront l’un et l’autre une médaille pour leur lutte contre le choléra, fléau de l’époque. Jean-Pierre exerce à la Guerche, dont il est maire de 1821 à 1846. Il a pris le nom de Boyn-Bussy, probablement parce qu’il est propriétaire d’une terre du nom de Bussy. Louis demeure à Germigny, où il est « propriétaire » et capitaine de la garde nationale en 1830.
Mais ces cousins-là, Jean-Pierre et Louis, ne semblent pas entretenir de relations particulièrement étroites avec les Desnoix. En revanche, Vincent Desnoix est proche de leur frère, Jean-Baptiste Boyn (1781 – 1865), qui exerce à Nérondes et qui est à la fois son cousin, son voisin et probablement son médecin. Vincent est d’ailleurs témoin lorsque Jean-Baptiste déclare la naissance de son fils Jules-Charles en 1816.
Un autre fils de Jean-Baptiste, Charles, né en 1811, sera témoin au mariage de Catherine Alexandrine Desnoix avec Félix Rétif à Nérondes en 1836 (cf. chapitre Elisa Piot et Etienne Cerisier, les grands-parents exilés). Charles est alors étudiant en droit et sera maire de Germigny-l’exempt en 1870. Sa sœur, Catherine Emélie, épouse à Nérondes le 22 mai 1832 un dénommé Julien Mathé, notaire et futur maire de Nérondes.
Les recensements de 1836 à 1872 attestent de la présence des Boyn et des Mathé sans discontinuer à Nérondes. En bons notables de province, ils logent des domestiques – si l’on en croit les recensements successifs – et sont électeurs censitaires, inscrits sur les listes électorales avant le suffrage universel de 1848.
Moins riche que son beau-frère meunier de Bourges et moins en vue que ses cousins germains Boyn, Vincent Desnoix, notre ancêtre direct, est tout de même propriétaire de plusieurs biens, puisqu’il possède au moins sa maison et son commerce dans le centre de Nérondes, ainsi qu’une tuilerie à la sortie du bourg, sise sur un terrain d’un hectare, avec dépendances, qu’il loue pour 700 francs par an.
En 1845, il a 58 ans ; ses aînés sont tous mariés et installés et son plus jeune fils, Charles-Julien, vient de quitter la maison pour entamer des études de pharmacie à Paris. Il prend alors sa retraite et décide de vendre ses biens. Il doit en effet se constituer une rente et financer les études coûteuses de son fils.
Par l’intermédiaire de son cousin notaire, Julien Mathé, il vend son fonds de commerce et sa maison, trop grande sans les enfants, dans la cour de laquelle se trouve une forge. Une « belle » maison, selon l’annonce, possédant trois cabinets de toilettes à l’étage et pouvant être vendue en deux lots distincts. Il finit aussi par vendre la tuilerie et ses dépendances. Une publicité est passée dans le Journal du Cher.
Vincent est ainsi rentier les vingt dernières années de sa vie, preuve d’une relative aisance financière, que confirme la très brillante carrière du plus jeune de la fratrie, Charles-Julien, à une époque où les études ne sont pas à la portée de tous.
En 1848, alors interne des hôpitaux et hospices civils de la ville de Paris, en 3e ou 4e année, Charles-Julien est lauréat d’un prix décerné par ses professeurs. A l’instar de ses cousins Boyn, il reçoit en 1849 une médaille d’honneur pour sa lutte contre le choléra. Le 27 août 1853, il soutient sa thèse [2], qui sera publiée avec une dédicace touchante à ses frères et sœurs et à ses parents, qu’il remercie pour leurs sacrifices : A mon père et à ma mère, Je ne vous dirai jamais assez combien je vous aime et combien je vous suis reconnaissant de ce que vous avez fait pour moi.



Ce monsieur Soubeiran à qui il dédie aussi sa thèse, membre de l’académie de médecine, professeur à l’école de pharmacie et directeur de la pharmacie centrale des hôpitaux, est aussi l’inventeur du chloroforme. Dans son discours de rentrée devant l’école de pharmacie de Paris en 1851, il enseigne à ses étudiants la nécessité pour la pharmacie « d’entrer dans les voies communes de l’industrie ». Charles-Julien a manifestement suivi les leçons de son maître au pied de la lettre car dans un article de la Revue internationale sur le médicament de 2012, il est écrit qu’il est « un symbole de cette pharmacie engagée dans les voies de l’industrialisation ».
Quoi de plus normal, dans cette famille, que de faire du commerce !
Seulement trois des cinq enfants de Vincent Desnoix restent donc dans le giron familial, à Nérondes : Julie notre ancêtre, l'épouse de Félix Piot, Charles-Louis et Antoine-Eugène. La première à quitter Nérondes (avant Charles Julien) est la fille cadette de Vincent, Alexandrine, qui épouse en 1836 un marchand du département voisin de l’Allier, où le couple s’installe. On retrouve Alexandrine avec son mari Félix Rétif et leurs cinq enfants en 1851 à Chamblet, un bourg situé à côté de Montluçon, où ils gèrent une ferme dans laquelle ils logent cinq domestiques agricoles, dont une servante [3].
La situation des fermiers au milieu du XIXe siècle est cependant difficile s’ils ne parviennent pas à moderniser leur exploitation et beaucoup choisissent l’exil citadin. C’est probablement le cas d’Alexandrine et Félix Rétif, mais aussi d’Elisa et Etienne Cerisier, qui s’installent définitivement à Paris à peu près au même moment, vers 1860.
[1] Voir lexique
[3] Archives départementales de l'Allier / Recensements
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